Miodjou : Après sept jours de mobilisation autour de la dignité menstruelle, quel regard portez-vous sur cette édition 2025 de la SeDiM ?
Bénédicta Aloakinnou : La honte a changé de camp ! En seulement 7 jours, la SeDiM 2025 a prouvé que la dignité menstruelle est un combat partagé et incontournable. Au total, plus de 20 000 internautes mobilisé·e·s, plus de 2 000 spectateurs à nos lives et plus de 700 festivaliers sur le terrain à la place de l’Amazone et dans les rues.
Les retours affluent, les témoignages se multiplient, et un véritable changement de narratif s’opère : parler des menstrues n’est plus une honte, c’est un acte de dignité, de justice et de santé. Cette édition 2025 n’a pas seulement marqué une étape, elle a ouvert un tournant dans notre engagement collectif : nous avançons plus fort·e·s, plus solidaires et déterminé·e·s à inscrire la dignité menstruelle au cœur de nos sociétés.
Je suis simplement fière et rassurée de l’avenir…
La menstruation reste entourée de silence, de gêne, voire de honte. Comment la FJAD transforme-t-elle ce tabou en un levier d’émancipation pour les jeunes filles ?
Par l’art, l’influence et les médias sociaux, nous brisons le silence autour des menstrues. À la FJAD, nous croyons que les menstruations ne doivent plus être synonymes de honte, ni d’exclusion. C’est pourquoi nous transformons ce tabou en un levier d’émancipation pour les jeunes filles et les personnes menstruées à travers plusieurs approches.
[…] elle est indissociable de la lutte pour l’égalité et de la justice sociale.
Cela passe par l’art et la créativité. Nous utilisons le théâtre, la danse, la peinture, le slam et la mode comme moyens d’expression pour raconter autrement l’expérience menstruelle, susciter l’empathie et dédramatiser ce sujet. Par ailleurs, nous utilisons aussi l’influence et le leadership jeunes. A cet effet, nous formons et mobilisons des jeunes ambassadrices et influenceuses qui portent des messages positifs et inclusifs sur la dignité menstruelle.
Il y a aussi les médias sociaux et la communication digitale. A travers des campagnes virales, des podcasts, des vidéos et des hashtags puissants (#JeSuisMenstrue, #DignitéMenstruelle), nous ouvrons des espaces publics de discussion et de sensibilisation. Le plaidoyer communautaire est une autre approche. En allant dans les écoles, les quartiers et les zones rurales, nous donnons la parole aux jeunes filles elles-mêmes, pour qu’elles deviennent actrices du changement et défient les stéréotypes.
À l’heure où la santé sexuelle et reproductive est plus que jamais un enjeu mondial, comment inscrivez-vous la question menstruelle dans une approche globale de droits et de justice sociale ?
La dignité menstruelle n’est pas une question isolée. Elle touche directement au droit à la santé, à l’éducation, à l’égalité des genres et même à la justice sociale. Quand une fille manque l’école parce qu’elle n’a pas accès à des serviettes menstruelles, c’est une atteinte à son droit à l’éducation. Quand une femme est stigmatisée parce qu’elle a ses règles, c’est une atteinte à sa dignité et à son droit de vivre sans discrimination. Notre Fondation inscrit donc la question menstruelle dans une approche globale des droits humains : elle est indissociable de la lutte pour l’égalité et de la justice sociale.
Quels sont les visages de l’inégalité menstruelle que vous croisez au quotidien ? Et comment votre Fondation répond-elle à ces réalités souvent invisibles ?
Au quotidien, nous rencontrons des filles qui improvisent avec des morceaux de tissu, qui n’ont pas accès aux serviettes menstruelles ou qui s’isolent faute de moyens. Nous voyons des adolescentes perdre confiance en elles parce qu’elles sont humiliées en classe lorsqu’une tâche apparaît sur leur uniforme. Nous rencontrons des femmes en zones rurales qui subissent encore des tabous et doivent s’exclure de certaines activités lors de leurs menstruations.
Face à cela, la Fondation agit sur trois leviers : l’éducation et la sensibilisation pour briser le silence et déconstruire les tabous ; le transfert de connaissances sur la confection de serviettes menstruelles réutilisables et le plaidoyer auprès des décideurs pour que la santé menstruelle soit reconnue comme une question de politique publique.
Au-delà des campagnes annuelles, comment construire un changement structurel ? Et que diriez-vous à celles et ceux qui hésitent encore à s’engager dans ce combat ?
Les campagnes annuelles sont essentielles pour mobiliser, mais elles ne suffisent pas. Pour construire un changement durable, il faut intégrer la santé menstruelle dans les programmes scolaires, pour que les jeunes filles et garçons grandissent avec une information juste. Il faut aussi mettre en place des politiques publiques claires, incluant la gratuité ou la subvention des protections menstruelles.
[…] renforcer la mobilisation et porter encore plus haut le plaidoyer pour la dignité menstruelle.
L’investissement dans la recherche et l’innovation locale est indispensable pour développer des solutions accessibles et adaptées au contexte béninois. À celles et ceux qui hésitent encore, je dirais : la dignité menstruelle n’est pas “un problème de femmes”, c’est une question de société. Chacun-e a un rôle à jouer, car quand une fille est empêchée, c’est toute la communauté qui recule.
Quelles sont vos perspectives ?
Nos perspectives immédiates s’articulent autour de deux grands rendez-vous : la Semaine de la Dignité Menstruelle qui se tiendra bientôt à Lokossa, et la Cité Menstrues’Actions prévue prochainement à Parakou. En ligne et de façon permanente nous voulons continuer à déconstruire. Ces initiatives représentent des étapes clés pour poursuivre notre engagement, renforcer la mobilisation et porter encore plus haut le plaidoyer pour la dignité menstruelle.
Biographie de Bénédicta Aloakinnou
Elle est une juriste pénaliste et militante féministe béninoise engagée pour les droits des femmes, la justice sociale, la santé et la justice climatique. Elle préside la Fondation des Jeunes Amazones pour le Développement (FJAD) et a fondé Leadelles.com, la première civic tech féministe au Bénin. Son engagement croise activisme de terrain, plaidoyer politique et innovation sociale féministe, avec un accent sur les droits sexuels et reproductifs, notamment le droit à l’avortement sécurisé, la dignité menstruelle et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Elle pilote des programmes alliant justice climatique et DSSR à travers la formation de femmes à des métiers durables (emballages bio, serviettes réutilisables) et des actions communautaires. Co-autrice du policy brief « From Talking to Walking : Using Feminist Foreign Policy to Fund Feminist Organizing », elle milite pour un financement féministe ancré dans les réalités locales. Bénédicta agit au niveau local et international pour faire entendre la voix des femmes dans les espaces de décision.