L’intelligence artificielle façonne désormais le quotidien des populations, notamment celui des Béninois, et la question de son inclusion demeure une préoccupation majeure.
« Implications éthiques et socio-économiques de l’IA au Bénin » : c’est autour de ce thème que plusieurs journalistes, enseignants, étudiants et jeunes se sont réunis pour apprendre et mener des réflexions pour un avenir inclusif avec l’IA. Depuis septembre 2025, des consultations locales ont mobilisé 136 participants issus de milieux variés : jeunes, enseignants, entrepreneurs, acteurs agricoles, sociétés civiles et collectivités territoriales. Les données issues du rapport général des consultations locales montrent un fort intérêt pour l’IA, avec 91,9 % des participants capables d’identifier correctement le terme.
Toutefois, les représentations restent largement anthropocentrées, souvent influencées par les récits médiatiques. En ouvrant les travaux du forum national sur l’IA, Megan Valère Sossou, Directeur exécutif de l’ONG Save Our Planet, a rappelé que ce forum constitue « l’aboutissement d’un processus participatif inédit », ayant permis de recueillir les attentes et préoccupations des communautés sur les usages de l’IA. Objectif ? Partager les résultats des consultations, enrichir le dialogue sur les implications éthiques et sociétales de l’IA, et valider des recommandations pour une gouvernance inclusive.
Pour Laetitia Badolo, Directrice du Plaidoyer et de l’Impact à Niyel, l’enjeu consiste à assurer une participation réelle des citoyens dans un contexte où l’IA redéfinit déjà les services publics et les modes de vie. Elle a insisté sur la nécessité de politiques publiques basées sur les réalités locales. « Dans un contexte où l’IA redéfinit nos économies, nos services publics et nos modes de vie, il est essentiel que les citoyens, les communautés locales, les jeunes, les femmes et les groupes vulnérables puissent exprimer leurs attentes, leurs préoccupations et leurs priorités. Ce sont ces contributions qui permettent d’ancrer les politiques publiques dans la réalité et de garantir que l’innovation technologique reste au cœur de l’inclusion et du développement. (…) Ainsi, ce forum national marque une étape clé. Il permet de porter la voix des citoyens au niveau institutionnel et de construire un dialogue structuré avec les autorités publiques », a-t-elle affirmé.
Les enjeux de l’IA pour le Bénin
Les échanges entre Dr Mireille Odounfa, experte en IA et agriculture, et Martial Ahéhéhinnou, représentant du Ministère du Numérique et de la Digitalisation, ont permis de décrypter les enjeux de l’IA pour le Bénin. Dr Mireille Odounfa a mis l’accent sur les secteurs transformés par l’lA au Bénin à savoir : agriculture, santé, éducation, administration publique et gestion climatique. Martial Ahéhéhinnou, a salué l’initiative, soulignant sa cohérence avec la Stratégie Nationale d’Intelligence Artificielle et des Mégadonnées (SNIAM 2023-2027) et rappelant l’ambition du gouvernement de former 5 000 jeunes aux métiers de l’IA d’ici 2027.
Selon le rapport général des consultations locales réalisé dans le cadre du Programme Artificial Intellignece For Development (AI4D) avec le soutien de Niyel et le financement du Centre de Recherche pour le Développement International du Canada (CRDI) et de UK International Development, les risques perçus dominent les débats dans les trois villes, avec un indice de polarité négatif (Porto-Novo : −0,556 ; Parakou : −0,524 ; Bohicon : −0,500). Pour les personnes touchées dans le cadre de ces consultations, les inquiétudes majeures concernent la perte d’emplois, l’atteinte à la vie privée, la discrimination algorithmique, et le risque de contrôle excessif des machines.
Avant de présenter les recommandations, Fulbert Adjimehossou, consultant-formateur, a animé des échanges avec les participants. Lesquels ont été invités à identifier les secteurs qu’ils considéraient comme prioritaires pour l’application de l’intelligence artificielle dans le contexte national. L’analyse des réponses montre une forte convergence autour de trois domaines principaux : la santé, l’agriculture et l’éducation. Les participants ont également exprimé de fortes attentes en matière de transparence algorithmique, de protection des données et de gouvernance participative. « Il n’est plus possible de se passer de l’IA […] Si nous devons prendre part à cette révolution, nous devons la recadrer, la revoir sur le plan national afin qu’elle réponde à nos réalités », a suggéré Serge Anagonou, l’un des participants.
Des recommandations validées pour un cadre national inclusif
Le forum a conduit à la validation des recommandations articulées autour d’axes stratégiques. Ces recommandations combinent les propositions des participants aux ateliers, aux émissions radiophoniques en langue nationale et les meilleures pratiques identifiées au niveau international. D’abord, la gouvernance nationale et multipartite pour assurer la participation de la société civile, des acteurs privés, des chercheurs et l’inclusion des voix sous-représentées à toutes les étapes.
En deuxième lieu, il est question de la littératie technologique et de formation. Il s’agira de développer des programmes nationaux de littératie en IA et data science, intégrant éducation formelle et non formelle, en adaptant le vocabulaire et le contenu aux réalités locales (langues, niveaux scolaires, accès à Internet) ; d’investir dans la formation continue et la reconversion professionnelle pour accompagner l’évolution des métiers face à l’IA.
Ensuite, la transparence et la régulation responsable afin de garantir la transparence des décisions algorithmiques, des usages de données et de leurs impacts, adaptés aux différents publics ; d’élaborer des lignes directrices éthiques et conditionner le déploiement des technologies à des évaluations d’impact en mettant en place des cadres de conformité (certification, labellisation et audits réguliers).
Puis, la priorisation sectorielle et l’équité. Elle vise à orienter les politiques de l’IA vers les secteurs à forte valeur sociale : santé, agriculture, éducation ; d’anticiper les effets sur l’emploi et promouvoir la complémentarité humain-IA, avec des programmes de reconversion et de formation continue. En cinquième position, il y a la gouvernance des données et coopération internationale qui consistera à définir des protocoles de gouvernance des données, garantissant transparence, redevabilité avec une politique claire de l’économie des données ; de soutenir la recherche universitaire, les cadres réglementaires expérimentaux et la coopération internationale pour développer des mécanismes techniques et de gouvernance adaptés.
Le défi des prochaines années sera d’assurer la mise en œuvre effective de ces mesures, afin que l’IA devienne un outil de progrès inclusif, au service du développement durable et de la justice sociale.
