Quand se nourrir devient un casse-tête pour les béninois

Les agriculteurs béninois vivent de plein fouet la rareté

quand se nourrir

Les agriculteurs béninois vivent de plein fouet la rareté des pluies. Les cultures manquent d’eau pour croître et les populations sont exposées aux risques de la flambée des prix des denrées de premières nécessités.

Il est 15 heures passées de quelques minutes ce 22 septembre. Un ardent soleil fait crépiter les feuilles mortes sous les pas, le long du sable marin qui mène au site du « village maraîchers. » Nous sommes dans la commune de Sèmè-Kpodji à 21 kilomètres de Cotonou, sur un domaine de plus de deux cent hectares entièrement cultivé. La plupart des trois cent maraîchers qui exploitent le site se reposent sous des abris de paille clairsemés. Henri Djivo, maraîcher ayant plus d’un demi-siècle de vie se dresse au milieu des légumes, tomates, carottes, piments, oignons qu’il cultive sur un hectare de terre. L’air effaré mais serein, il réfléchit à une alternative pour contourner la rareté des pluies.

« Les pluies ne viennent plus comme cela se doit », se plaint Henri. Selon le calendrier pluviométrique du Bénin, la deuxième saison des pluies commence à la seconde moitié du mois de septembre pour prendre fin en octobre. Ce 22 septembre, le ciel est sans nuages. Rien n’augure d’une saison pluvieuse. « Avant, on utilisait des arrosoirs. Maintenant, on fait des forages… », poursuit-il. Très vite, M. Djivo se saisit du raccord de sa motopompe pour arroser ses jeunes plants  grâce à un forage qu’il a fait ériger depuis cinq années maintenant. La construction du puits  au beau-milieu de sa plantation, lui a coûté plus de cent cinquante mille (150.000) francs Cfa pour assurer l’arrosage régulier de ses plants.

Il pourra espérer à terme, faire de bonnes récoltes. Mais le problème reste presqu’entier : « pendant la saison sèche, l’eau tarit au fond du forage et il faut augmenter la longueur du tuyau avant de trouver l’eau », a-t-il reconnu. Pour faire un retour sur investissement, il a augmenté le prix de vente de ses cultures. Une hausse qui n’est pas du goût de tous ses clients avec qui les prises de bec sont régulières.

Changements climatiques et rendements agricoles

Le changement dans les cycles de température et de vent sur une période allant de trente ans et plus, engendre des changements de tendance qui sont à l’origine des changements climatiques. Ils se manifestent par la rareté des pluies qui peut à la longue entraîner le changement du calendrier agricole. Ces dernières décennies au Bénin, le constat est tel que les pluies tardent à venir ou se concentrent sur une courte période. Les béninois ont encore de tristes souvenirs des inondations de 2012 qui ont occasionné d’énormes dégâts matériels et des pertes en vies humaines. En temps normal, ce volume de pluies devrait s’étaler sur une longue période pour arroser les plantes de façon progressive.

« Les incidences des changements climatiques remettront en question des systèmes de production déjà fragilisés et qui devront produire plus pour nourrir une population plus nombreuse. Sous l’effet des changements climatiques, les écosystèmes agricoles subiront des modifications encore mal connues, qui affecteront les moyens d’existence des populations, en particulier des agriculteurs pauvres. » C’est la conclusion à laquelle est parvenue une récente étude de l’Institut International de Recherche sur les Politiques Alimentaires (IFPRI) sur l’« Agriculture et les changements climatiques en Afrique de l’Ouest. »

Satoguina M’pa est un spécialiste en économie de l’environnement. Il schématise au cours d’une interview à lui accordée, la relation de cause à effet entre les changements climatiques et la sécurité alimentaire. « Lorsque les pluies tardent à venir et que les saisons sont lancées, les plantes vont mourir. Lorsque la pluie arrive tardivement et en abondance sur une très courte période, il y aura inondation et les plantes vont encore mourir. Si les pluies tombent sur une courte période et cessent, les plantes qui avaient été lancées vont subir un phénomène de sécheresse. » Dans les trois cas énoncés, la plante est en souffrance hydrique et cela entraîne une baisse de rendement. « Lorsqu’il y a baisse de rendement, la production va baisser et lorsque la production baisse, il va y avoir pénurie de produits sur le marché. Les produits ayant diminué, les prix vont flamber et par conséquent, le consommateur va le ressentir » lors de son achat.

« On s’en sort très difficilement… »

Dans les marchés du Bénin, la loi de l’offre et de la demande s’impose. La hausse des prix des produits peut-être liée aux facteurs de production ou aux différentes charges qui s’ajoutent au prix bord-champ. Edith Vidjogni, revendeuse de produits alimentaires à Cotonou, depuis près d’une dizaine d’années craint la chute de son commerce si les prix des denrées augmentent au fil des années. S’exprimant dans son patois (fon-gbé, dialecte local le plus parlé au Bénin, ndlr), la revendeuse explique comment elle fait le tour des marchés du nord, du centre et du sud Bénin, à la recherche de produits moins coûteux. « Le sac de 100 kilogramme de maïs était à 15.000fcfa en 2010. Aujourd’hui ça coûte jusqu’à 27.000fcfa. Au cours de cette même année, le prix du maïs a évolué de 20.000fcfa à 27.000fcfa. Je ne fais plus de bénéfices comme avant parce que les ventes ont baissé », narre dame Vidjogni devant ses bassines de produits vivriers à moitié pleines. Bien qu’analphabète, elle a estimé que le « manque de pluie » peut-être à l’origine de cette hausse des prix.

Selon des statistiques officielles datant de 2012, 47,3% de béninois vivent avec 625fcfa  par jour, soit 18.750fcfa par mois. La bourse du béninois moyen n’est pas prolifique et le panier de la ménagère s’amenuise de jour en jour. Inspecteur des Postes et télécommunications à la retraite,  Antonin Gbèdolo est père de six enfants. Il continue de subvenir aux besoins de sa famille. Avec sa pension qu’il dit « abondante », il investit la totalité pour nourrir ses rejetons. « On s’en sort très difficilement, répète-il. Moi je suis très organisé, c’est pourquoi je m’en sors avec toutes les difficultés que cela engendre. Je perçois une grosse pension mais j’utilise tout pour l’alimentation de la famille. Ce n’est pas donné à tout le monde de s’en sortir. »

M. Gbèdolo en arrive à se demander si : « la flambée des prix est due au changement climatique ? Cette année, les pluies n’ont pas été abondantes. Après les premières pluies, se souvient-il, le prix du maïs est tombé à 14.000fcfa, le sac de 100 kilo. Actuellement, son prix a flambé. Et le panier de tomates qui coûte en cette période 1.500fcfa en temps normal, est  à 3.000fcfa. »

La faim comme finalité ?

« On ne mourra pas de faim au Bénin. C’est sûr que les pluies vont retrouver leur cycle normal. On parle de changement climatique, le climat de l’année prochaine peut-être meilleur à ce que nous vivons actuellement », défend Antonin Gbèdolo sur un ton d’optimisme. Mais la réalité est toute autre. En plus des effets des changements climatiques qui vont s’aggraver dans le temps, 56% des terres cultivables du Bénin sont dégradées. « Si rien n’est fait, on peut avoir des jours difficiles par rapport à la sécurité alimentaire », explique M. Satoguina, alors que l’agriculture représente 37,1% du Produit Intérieur Brut (PIB) du pays.

L’une des solutions qui s’offre aux pays affectés par les changements climatiques, dont le Bénin est l’adaptation au phénomène. L’igname par exemple, résistera aux effets des changements climatiques. Par contre, la production du maïs et du coton va baisser parce que ces cultures ont une demande plus stricte en eau. « Les cultures n’ont pas les mêmes besoins en eau », justifie le spécialiste en économie de l’environnement. Les communautés paysannes des quatre zones agro-écologiques du Bénin (extrême nord, zone nord Donga ouest Atacora, zone cotonnière du centre et zone des pêcheries) les plus vulnérables au phénomène devront financer des méthodes d’irrigation pour s’adapter aux changements climatiques en apportant de l’eau aux cultures les plus nécessiteuses. « En s’adaptant, on pourra trouver de nouveaux itinéraires culturaux, d’autres périodes de lancement des cultures (restructuration du calendrier agricole)… », envisage M. Satoguina.

La production végétale n’est pas le seul secteur touché par les effets des changements climatiques au Bénin. La production animale, la pêche et l’aquaculture sont également concernées. Dans le document consignant la Contribution prévue déterminée au niveau national, le Bénin a énuméré quelques projets au titre du Programme d’Action National aux fins de l’Adaptation aux changements climatiques (PANA). Il s’agit entres autres de : l’adoption et la promotion de pratiques de cultures de variétés à cycle court, la promotion de l’agroforesterie et l’aménagement des bas-fonds. Tous les projets et programmes élaborés par le Bénin dans le cadre de sa politique d’adaptation et d’atténuation aux changements climatiques s’élèvent à trente (30) milliards de francs Cfa. Le pays espère mobiliser ces fonds à l’issue de la Conférence des parties (COP 21) à la Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques, pour limiter les dégâts d’un phénomène planétaire dont la responsabilité est différenciée.

Source: Atelier des médias/rfi

Michaël Tchokpodo

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