Cette activité s’inscrit dans le cadre du « Projet de dissémination des expertises de réduction des risques auprès des associations communautaires francophones d’Afrique de l’Ouest », avec pour objectif principal de sensibiliser les professionnels des médias et du droit sur les thématiques de la réduction des risques (RdR), les addictions, et l’amélioration des lois et des politiques de drogues. Au terme des travaux, Massogui Thiandoum, directeur technique de l’ANCS fait un point au micro de Miodjou.
Miodjou : Vous avez réuni des professionnels des médias, des agents de sécurité publique et de la justice pour leur parler de la réduction des risques. Qu’en est-il concrètement ?
Massogui Thiandoum : C’est un atelier de sensibilisation des journalistes, des agents de la chaîne judiciaire et des forces de sécurité sur la réduction des risques chez les consommateurs de drogues. La consommation de drogues en Afrique est un problème de santé publique. Beaucoup d’interventions et d’approches sont menées au sein des pays pour contrôler et gérer cette dimension de santé publique.
A l’Alliance nationale des communautés pour la santé, en collaboration avec Médecins du Monde et Coalition Plus International, nous avons pensé qu’il était important au niveau des pays de l’Afrique francophone, de discuter avec ces parties prenantes pour les sensibiliser sur les approches innovantes en matière d’offres de services des consommateurs des drogues afin de réduire les méfaits de la consommation de la drogue sur ces personnes et sur la communauté. Mais aussi, faire en sorte que les politiques et les lois au niveau de nos pays soient beaucoup plus ouvertes et humanistes pour considérer le consommateur de drogue comme une personne souffrant d’une addiction, c’est-à-dire une personne malade, et non un délinquant ou une personne violente ou qui a un problème de santé mentale.
Cet atelier vise à permettre d’avoir un autre regard sur les consommateurs de drogues, d’initier des offres de services beaucoup plus humanistes et de faire en sorte que les consommateurs de drogues puissent être des personnes considérées comme étant malades. Et qu’on ne les amène pas systématiquement en prison ou qu’on exerce de la violence sur eux parce qu’ils consomment des drogues. La répression doit exister beaucoup plus chez les trafiquants que chez les consommateurs de drogues, qui sont des victimes selon nous.
L’atelier nous a donc permis d’échanger et surtout de parler avec les journalistes. Ceux-ci sont vraiment importants parce qu’ils sont écoutés par la communauté et par l’opinion publique. Quand ils ont toutes ces informations, ils peuvent avoir un système de communication très efficace qui permettra à la communauté, au gouvernement et à l’opinion publique de changer de regard sur les personnes victimes de la consommation de drogues.
Quel est le contenu de ces deux jours de formation ?
Il s’agira de donner les informations, mais aussi de faire en sorte que les approches que nous proposons en termes d’offres de services, aussi bien des offres de services de santé que des offres de services au niveau psychosocial, puissent être bien comprises. Il s’agira aussi de travailler à avoir des éléments de langage qui sont très importants dans ce genre de travail parce qu’ils permettent de changer de paradigme et de nommer les choses autrement.
Nous les considérons comme des victimes d’une addiction et nous devons les nommer autrement
J’ai dit tout à l’heure que nous considérons les consommateurs des drogues comme des victimes. Nous ne les considérons pas comme des délinquants. Nous ne les considérons pas comme des personnes qui sont violentes. Nous les considérons comme des victimes d’une addiction et nous devons les nommer autrement. Quand le paradigme change, le langage aussi doit changer. Ce faisant, nous aurons une communauté de pratique multisectorielle qui peut engager une réflexion au niveau de la communauté, des pouvoirs publics et des politiques de l’État pour pouvoir changer et améliorer la condition et les lois de ces pays.
Qu’entendez-vous par réduction de risques ?
La réduction des risques est une approche qui consiste à considérer la personne qui consomme des drogues comme une victime. Elle consiste aussi à travailler à réduire les conséquences de la consommation de la drogue aussi bien chez le consommateur de drogues qu’au niveau de son environnement aussi.
Quel est l’état des lieux de la répression des consommateurs de drogue dans les deux pays pris en compte par ce projet ?
Le Bénin et le Togo sont des pays qui ont une législation très sévère sur les consommateurs de drogue. Les lois sont assez dures pour les personnes qui consomment des drogues et nous pensons qu’il va falloir travailler avec les législateurs, les communautés et le gouvernement pour avoir au moins le discernement sur les consommateurs et les trafiquants.
L’autre dimension, c’est de faire en sorte que l’offre de services soit diversifiée pour que les victimes d’addiction qui sont malades n’aillent pas systématiquement en prison mais qu’on les amène aux soins. Ce sont des processus et des discussions qui pourraient permettre d’améliorer l’arsenal juridique de nos pays pour faire en sorte qu’on ait des lois beaucoup plus progressistes et plus humanistes.
Comment le plaidoyer doit-il être mené pour pouvoir participer à la réduction des risques ?
Le plaidoyer se fait avec des évidences scientifiques. Nous avons donné des exemples de pays à travers le monde qui ont appliqué l’approche de réduction des risques et qui ont vu le niveau de personnes infectées au VIH parmi les consommateurs de drogue baisser drastiquement. On parlait de l’Ukraine et d’autres pays plus proches de nous comme le Kenya où l’approche de réduction des risques a permis véritablement de faire baisser le taux de prévalence du VIH au sein des communautés qui consomment de la drogue.
[…] avoir des lois beaucoup plus ouvertes et plus humaines […]
Scientifiquement, nous avons des évidences que l’approche marche et c’est avec elle et des preuves scientifiquement vérifiables que nous pouvons construire un plan de plaidoyer pour aller rencontrer les cibles telles que les autorités, les législateurs, les forces de sécurité, les communautés, les ministères au niveau sectoriel, etc. Nous leur dirons qu’il y a une manière de régler ce problème qui permet de réduire les risques, de gagner en temps sur l’investissement.
Si nous travaillons moins que ce qui se fait maintenant, des consommateurs iront en prison ; et les amener en prison coûte cher. Lorsqu’on les amène en prison, il y a beaucoup de monde dans les prisons. Ils sont enfermés, on leur donne à manger, etc. S’occuper de leur santé coûte cher. Alors qu’avec l’approche réduction des risques, au lieu de les emmener en prison, il y a une alternative au soin qui peut permettre aux États d’avoir des lois beaucoup plus ouvertes et plus humaines, qui permettent à tous les citoyens de se retrouver avec leurs problèmes de consommation de drogue, réglés ou pris en charge par l’État et la communauté.