Maladie parasitaire à l’origine de la piqure de moustiques, le paludisme est la première cause de consultation dans les hôpitaux au Bénin. Malgré sa prévalence, il n’existe pas d’initiatives innovantes exclusivement dédiées à cette maladie tropicale pour favoriser son éradication à l’horizon 2030.
Le Bénin est cité parmi les quinze pays affichant le taux le plus élevé de cas de paludisme et de décès dus à cette maladie. En 2020, le Bénin représentait 2 % des cas de paludisme et de décès associés dans le monde et 1,6 % des cas de décès. En Afrique de l’Ouest, il représente 4 % des cas de paludisme. Au-delà du Bénin, l’Afrique est le continent ayant le plus grand taux de prévalence du paludisme dans le monde.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) fait état, en 2022, de 94 % des cas de paludisme (soit 233 millions) et 95 % des décès dus à la maladie (soit 580 mille) enregistrés dans la région africaine. Et au niveau mondial, 92 % des cas de paludisme se trouvent en Afrique, soit 200 millions de victimes et 96 % des décès concentrés en Afrique subsaharienne, avec 80 % de tous les décès dus au paludisme, recensés chez les enfants âgés de moins de cinq ans.
Le tableau est sombre. Le paludisme reste un problème de santé publique au Bénin. Hormis les personnes âgées, la maladie touche les enfants de moins de 5 ans, qui sont plus à risque que les autres tranches d’âge de contracter un paludisme grave, et qui se caractérise souvent par une défaillance d’organe ou d’autres conséquences cliniques graves.
Des initiatives e-santé
Face aux problèmes sociaux contemporains, le numérique apporte de plus en plus de solutions innovantes. Il présente l’avantage d’optimiser la collecte de données, de fournir des renseignements à partir de la donnée, d’augmenter l’agilité et de limiter l’erreur humaine. Sa première mission consiste à dématérialiser les procédures de tout type, notamment administratives, pour faciliter l’accès aux services, la réduction du temps d’attente et l’économie de gain.
Depuis quelques années, l’écosystème numérique du Bénin est en pleine expansion, et notamment depuis 2016 que le gouvernement a émis l’ambition de faire du pays, la plateforme des services numériques en Afrique. Quelques initiatives d’e-santé ont vu le jour à l’instar de goMedical, la première plateforme e-santé créée au Bénin en 2017. Elle œuvre à faciliter le parcours du patient dans le système de santé béninois en l’interconnectant avec les professionnels de santé (médecins, pharmaciens et autres professions paramédicales).
Les malades de paludisme peuvent également en faire usage, même si ce n’est pas une plateforme exclusivement dédiée à cette cause. Elle fournit à chaque patient un dossier médical informatisé, qui peut être partagé avec différents praticiens et transféré d’un centre sanitaire à un autre. L’application favorise aussi l’historique des consultations antérieures. Le patient peut lui-même mettre à jour certaines de ses données.
Il y a aussi la startup e-santé Kea Medicals. Elle a imaginé un système d’identité médicale universelle (IMU), permettant la communication des données propres à tout patient entre les médecins et les différents hôpitaux. D’autres applications HealthTech portent sur les règles menstruelles chez les femmes ou aux problèmes de santé sexuelle et reproductive.
« La numérisation est indispensable […] »
La plateforme Clinton Health Access Initiative a publié ce 25 avril, un article avec pour titre : « La numérisation des campagnes de vaccination de masse contre le paludisme peut-elle améliorer le suivi et aider à atteindre davantage d’enfants ? » Evoquant les défis liés aux campagnes sur papier, elle a rapporté que « le ministère de la santé du Bénin a mis en place des campagnes de SMC depuis 2019. Cependant, cela a été difficile. Le Ministère s’est appuyé sur la gestion des campagnes sur papier, ce qui a entraîné des lacunes dans les données recueillies. Les retards dans la communication des données ont affecté les décisions cruciales concernant les opérations de campagne visant à atteindre le plus grand nombre d’enfants. »
Mais en 2023, le Clinton Health Access Initiative (CHAI) s’est associé au ministère béninois de la Santé, au Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP) et à la Direction des systèmes d’information (DSI) pour numériser ses campagnes de vaccination de masse contre le paludisme. Les résultats ne se sont pas faits attendre. Près de 70 % (68,45 %) des enfants ciblés ont reçu un traitement complet au cours de la campagne. Il s’agit d’enfants identifiés lors de la première série qui ont été suivis jusqu’à la quatrième série de traitements, recevant les 12 doses. Ce qui représente une amélioration par rapport aux campagnes de 2021 et 2022, qui avaient toutes deux atteint 52 %.
Par ailleurs, la qualité de la supervision s’est également améliorée grâce à l’intégration du tableau de bord, fournissant des alertes contre les mauvaises pratiques. De plus, la couverture s’est étendue à des zones auparavant non couvertes. Au regard des résultats obtenus, pour 2024 et au-delà, le ministère de la Santé, le CHAI et le PNLP ont l’intention de tirer parti des gains de la numérisation pour atteindre l’objectif de l’OMS de 95% couverts par les SMC. À l’avenir, le ministère prévoit d’utiliser les enseignements tirés de la numérisation de la campagne SMC pour numériser la surveillance épidémiologique du paludisme et d’autres campagnes de santé publique.
Ancienne ministre de la santé au Bénin, Dorothée Kindé Gazard disait : « la numérisation est indispensable, avec l’évolution vers la couverture sanitaire universelle et le développement de la télémédecine. »
Pour la digitalisation des interventions de lutte contre le paludisme
Pour Audrey Touré, pharmacienne et manager de la startup goMedical : « les outils numériques innovants, comme les tests de diagnostic rapides basés sur la technologie mobile et les applications d’intelligence artificielle, peuvent aider à diagnostiquer le paludisme de manière rapide et précise, même dans les zones reculées où l’accès aux services de santé est limité. Les campagnes de sensibilisation et d’éducation peuvent être menées de manière plus efficace grâce aux médias sociaux, aux blogs santé, aux applications e-santé. Ces plateformes peuvent être des moyens pour diffuser des informations sur la prévention du paludisme. »
D’après elle, l’innovation numérique et la gestion de la donnée ont toutes leurs places dans les interventions de lutte contre le paludisme. Car, les systèmes de surveillance épidémiologique basés sur le numérique permettent de collecter, d’analyser et de partager rapidement des données sur les cas de paludisme. Cela aide les autorités de santé à surveiller les tendances de la maladie, à identifier les foyers d’infection et à prendre des mesures préventives appropriées.
Elle a également donné l’exemple des systèmes de gestion des stocks basés sur le numérique qui permettent, pour leur part, de suivre les niveaux de médicaments antipaludiques et de les distribuer efficacement là où ils sont nécessaires. Cela aide à éviter les pénuries et à garantir un accès continu aux médicaments vitaux. Cependant, « le financement est souvent un défi majeur pour les startups et les entreprises de santé numérique. Les ressources financières limitées peuvent entraver la recherche, le développement et la mise en œuvre d’innovations dans la lutte contre le paludisme. De plus, les professionnels de la santé, les décideurs politiques et des communautés locales peuvent ne pas être pleinement conscients des possibilités offertes par les technologies numériques dans le cadre de la lutte contre le paludisme», souligne Audrey Touré.
Pour la digitalisation des interventions de lutte contre le paludisme, elle préconise la création d’une plateforme numérique avec des jeux éducatifs et des ressources en ligne pour sensibiliser les populations aux risques du paludisme, aux mesures de prévention et aux signes d’alerte. Cette plateforme pourrait également fournir des conseils sur les traitements disponibles.
Elle met notamment l’accent sur « la création d’une plateforme de recherche collaborative pour faciliter la collaboration entre les chercheurs, les universités, les organisations non gouvernementales et les agences gouvernementales dans la recherche sur le paludisme. Cette plateforme pourrait permettre le partage de données, d’idées et de ressources pour accélérer les progrès dans la lutte contre la maladie».
Le numérique constitue de nos jours un outil indispensable pour accélérer l’éradication du paludisme à l’horizon 2030 pour le bonheur des populations, notamment les femmes enceintes et les enfants de moins de cinq ans.
Michaël Tchokpodo